« Chocolat Clown Nègre »
Ce spectacle, fruit d’une collaboration entre la compagnie des Comédiens-Voyageurs (dirigée par Marcel Bozonnet), et l’association DAJA (présidée par Gérard Noiriel), est un hommage à Chocolat, premier artiste noir de la scène française et aux diverses facettes de son talent. Mais il aborde aussi des questions terriblement actuelles : la diversité, les stéréotypes, le devoir de mémoire.
Dans l’histoire de l’humanité, un petit nombre d’individus ont eu un destin hors du commun, non seulement parce que leur trajectoire leur a permis d’échapper à la condition sociale que leur origine rendait probable, mais aussi parce qu’ils ont été porteurs, sans le savoir, des grands bouleversements qui ont changé la face du monde. Rafaël, le « clown Chocolat », le clown le plus populaire de la scène parisienne à la Belle Époque a été l’un de ces hommes.
Le « clown Chocolat » a connu la célébrité parce qu’il a été le « représentant » du monde noir au moment même où le peuple français découvrait son existence. Dans son duo avec Foottit, le clown blanc, Chocolat a incarné le stéréotype du nègre battu mais content, dont la République avait besoin pour justifier la colonisation.
Mais la popularité de ce duo de clowns s’explique aussi par des raisons proprement artistiques.
Par leur art du déguisement et par leur gestuelle, ils ont inventé la comédie clownesque, grâce à des « performances » supprimant les barrières qui séparaient jusque là le cirque, le théâtre, le café-concert et le music-hall.
Décrit comme un « étrange représentant de notre espèce » dont les « gestes saccadés rappellent vaguement la race simienne », Rafaël fascine, mais il n’est pas compris. Quinze ans avant le triomphe du cake walk, c’est lui qui familiarise le public français avec la posture caractéristique du corps afro-américain, que William Lhamon définit comme le symbole de la « course-fuite » inventée en Amérique par les esclaves en quête de liberté, et qui s’est transmise jusqu’à nous, de génération en génération, grâce à la musique et à la danse.
Les jeunes issus de l’immigration qui dansent aujourd’hui le hip hop sur le parvis des cités de banlieue rendent hommage sans le savoir à Rafaël, le clown Chocolat, qui a été aussi un merveilleux danseur, comme l’illustre la célèbre lithographie que lui a dédié Toulouse-Lautrec.