« La Seconde surprise de l’amour » de Marivaux
Vrai, ni la Marquise, ni le Chevalier n’ont été trahis en amour. Le Chevalier et Angélique ont été forcés de renoncer l’un à l’autre, et c’est pour ne pas être indigne de l’amour qu’Angélique est entrée au couvent. Quant à la Marquise elle a après deux ans de l’amour le plus tendre et un mois de mariage, perdu ce qu’il y a de plus aimable au monde.
Mais vrai aussi, ils n’ont pas rencontré La Seconde Surprise de l’amour, cette répétition de l’unique.
Les deux se sont retirés des affaires, retirés de l’échange. Ils ont quitté le marché, l’évaluation.
D’ailleurs ils redoutent cette épreuve de l’estimation réciproque, ils craignent un marché de dupes. Si Arlequin a été poli par l’amour dans une pièce précédente de l’auteur, ces deux-là ne sont pas encore totalement polis, c’est à dire totalement humains.
Alors que l’histoire commence ! La Surprise de l’amour, la Seconde, toujours – première.
Condamnés à ne pas avoir de passé, parce que même sans s’en douter ils le trahissent sans cesse. Condamnés à ne pas avoir d’avenir, parce que chez eux il est trop proche du présent. Ils vivent alors une succession rapidement menée, rapidement variée dirait Marivaux de moments proches du chaos. Existences temporelles d’une incessante inconstance. La durée du personnage marivaudien est un « roman impromptu ».
Ce théâtre fait une confiance inouïe à la cure par le langage. Dans cette nouvelle épreuve, ce sont les échanges verbaux qui offriront le salut. Une « Langue des jardins » homogène aux mouvements du coeur et de l’âme (pas de barbares dans ce théâtre).
Et ultime renversement à la dernière seconde de la pièce, le nouveau couple peut s’unir enfin. Triomphe de l’amour. Accomplissement d’une machine matrimoniale quasi paradisiaque, processus d’humanisation constant.
« Marivaudage ou le mariage des rivaux » a écrit Michel Deguy.
La Seconde Surprise de l’amour nous intéresse parce qu’elle n’est qu’une forme entre autres de la surprise existentielle…