« Toujours la tempête » de Peter Handke

Laisser ressurgir les voix inouïes d’une famille, et à travers elles le destin d’une minorité et d’une langue, le slovène, qui est son trésor menacé. Est-on dans le monde des morts, croise- t-on des fantômes ?

Ici tous les temps paraissent se mêler : chronique et météo, vie quotidienne et géographie. Ici l’on peut dialoguer avec ses ancêtres. Ici, être plus vieux que sa mère, à tu et à toi avec la génération de ses oncles. Se découvrir, « moi » en suspension, sans père et entre guillemets, dans le landau que pousse Gregor, l’oncle-parrain. Se battre à mains nues contre l’adolescent qu’on aura été. Connaître Valentin et Benjamin, partis jadis pour une guerre d’où ils ne reviendront plus. Voir tante Ursula « la Neigeuse », Snezena, et Gregor devenu Jonathan s’enfuir dans les forêts de Carinthie, prendre les armes contre les nazis, rêver d’un monde meilleur avant d’être trahis par l’Histoire. Laisser ressurgir les voix inouïes d’une famille, et à travers elles le destin d’une minorité et d’une langue, le slovène, qui est son trésor menacé. Est-on dans le monde des morts, croise-t-on des fantômes ? Celui qui parle est trop attentif pour le dire ainsi et sait prendre le temps de laisser venir à lui ses ancêtres. Là où Gregor voit encore et « toujours la tempête », son neveu qui ressemble tant à Handke assume simplement sa volonté d’ « insuffler la vie » à presque rien. Cette écriture de soi et des autres tisse des souvenirs qui n’en sont pas tout à fait, des rêves plus réels que bien des réalités, des mots venus de plusieurs époques et de plusieurs langues, des archives qui résistent et s’animent sous l’oeil d’un sujet qui tente de se conjuguer à tous les temps. Et que ce soit sur scène ou sur la page, la beauté de Toujours la tempête, chargée de tendresse et de colère, est aussi déli- cate que les éphémères que célèbre Handke, fragiles insectes qui ne vivent qu’un jour avant que le vent les disperse.